A l'AJ de Doolin, le petit déj est continental : c'est très ordinaire comparé à un irish breakfast. Ensuite, en route vers l'embarcadère. En attendant le bateau, nous faisons quelques pas sur les dalles du bord de mer. Cela ressemble à une immense couche de lave qui aurait été découpée en morceaux avec une pelle à tarte crantée...
Peu après, nous embarquons sur le ferry qui va nous mener à Kilronan, le port principal d'Inishmore. Inishmore est la plus grande des îles d'Aran, elle est aussi la plus lointaine. Nous longeons Inisheer, puis Inishmaan avant d'y parvenir. Nous croisons de nombreux oiseaux : fulmars, guillemots de Troïl, puffins des Anglais, pingouins, fous, cormorans, goélands et même des guillemots à miroirs.
A Kilronan, nous louons des vélos, plus pratiques car l'île est vaste. Nous trouvons notre logement, une sorte de micro-AJ au fond d'une impasse, puis partons en exploration la carte de l'île à la main. Nous nous arrêtons au bord d'une lagune pour quelques observations, puis pique-niquons dans les cailloux du bord de mer, dans un recoin à l'abri du vent (pas facile à trouver). En fait, le littoral est constitué de plages et de dunes de galets, c'est impressionnant. Les îles d'Aran ne sont d'ailleurs que des tas de cailloux posés sur des plaques de rochers...
Nous poursuivons notre route par une ancienne usine d'iode (en ruines) près de la "seal colony" où nous observons jusqu'à 7 phoques en même temps ! Plus loin, nous visitons le Dùn Aonghasa, une forteresse occupée en gros de 1000 av.J.C. à 1000 ap.J.C., formée de plusieurs murailles en pierres sèches concentriques. Enfin, concentriques... sauf du côté de la falaise : 80 m d'à-pic, c'est une protection suffisante.
La visite suivante est celle d'un ensemble monastique appelé "les Sept églises". Ce sont en réalité les ruines de bâtiments monastiques et de deux églises, le tout au milieu d'un cimetière. Ou plutôt, c'est une imbrication de pans de murs et de tombes, dont beaucoup ont été creusées à l'intérieur même des bâtiments. Si les ruines sont médiévales (certaines datent du VIIIe siècle), plusieurs tombes sont de la fin du XXe. C'est un peu glauque, mais finalement moins morbide que nos cimetières français.
Ces "visites de cimetières" m'amènent à une petite réflexion sur le rapport entre ruines et mort en Irlande et plus généralement sur les îles britanniques...
Dès le début de l'ère chrétienne, il est de bon ton de se faire enterrer au plus près des reliques d'un saint (contenues dans l'autel de l'église) : donc de préférence dans l'église, si possible au ras de l'autel, sinon à l'extérieur mais le plus près possible des murs de l'église. On croit ainsi faciliter l'intercession du saint en faveur du défunt. En France, cette tradition s'est perdue quand on a déménagé les cimetières loin des centre-villes (et donc des églises) aux XVIIIe-XIXe siècles, ce pour des raisons de salubrité. Mais en Irlande, il semblerait que cette tradition se soit perpétuée. Car, même quand l'église est en ruines, il est bien possible que les reliques soient encore présentes dans l'autel...
Il semble aussi que ces reliques confèrent une certaine sacralité au lieu, sacralité qui perdure même quand le lieu saint a disparu. A Inisheer, le cimetière a continué d'exister autour d'une église qui avait été ensevelie sous une dune. Pendant des siècles, cette église a été cachée, mais le souvenir d'un lieu sacré avait dû se maintenir puisque le cimetière se trouvait toujours là !
On peut noter également que les tombes sont placées de manière à ce qu'il soit impossible de circuler sans marcher dessus, ce qu'on évite généralement de faire en France, soit-disant par respect pour les défunts. C'est encore plus vrai quand les tombes sont dans les églises. A l'extérieur, même dans des cimetières récents, les emplacements des tombes ne sont souvent indiqués que par une pierre tombale verticale. Le reste est recouvert de gazon ou de gravier : on ne se pose même pas la question de savoir si on marche au-dessus d'un squelette ou pas. Rien d'irrespectueux là-dedans : en fait, il s'agit d'un signe d'humilité ; les gens acceptent de se faire piétiner pendant toute leur éternité... Cela se faisait en France
jusqu'à l'époque moderne et le déménagement des cimetières : j'avais
observé ce phénomène à Melle, dans l'église St-Savinien, où la nef est
pavée de tombes du XVIIIe siècle. C'est une tradition que les Irlandais ont conservée.
Enfin, les Britanniques ont un rapport particulier à la ruine. En France, un bâtiment en ruines l'est franchement, couvert de lierres et de ronces, inaccessible, ou bien il est réhabilité, on lui refait alors une couverture et on l'aménage pour l'ouvrir au public. Là-bas, la ruine est simplement entretenue ; le haut des murs est cimenté pour éviter l'infiltration de l'eau, et le pourtour est nettoyé (souvent engazonné). Nous avions déjà noté cela en Ecosse et les images d'abbayes anglaises sans toit, au milieu d'un gazon parfait, sont légion. Glastonbury en est un exemple connu.
Cela rappelle les jardins à l'anglaise du XVIIIe siècle, qui était constellés de ruines factices. Cette architecture paysagère découlait d'un certain romantisme dans lequel la ruine symbolisait le temps, l'éternité, et devait rappeler la finitude de la vie et la venue inéluctable de la mort. A la même période, en France, nous sortions tout juste de la grande époque des jardins à la française, avec les haies de buis tracées au cordeau. Autre terre, autre culture !
Dans ces conditions, ces cimetières irlandais imbriqués dans des ruines sont tout à fait compréhensibles...
Après cette parenthèse, retour au terrain (accidenté) d'Inishmore. Car les côtes sont raides ; nos fesses et nos cuisses s'en souviendront. Nous retraversons l'île pour rejoindre une falaise que nous soupçonnons pleine de piafs. Pas de chance, nous sommes arrêtés par deux femmes qui nous expliquent qu'un film se tourne ici et qu'on ne pourra y accéder que dans une demi-heure. Tant pis, nous filons vers le village. La descente est caillouteuse et cahoteuse, on ne peut même pas en profiter.
Nous faisons quelques observations dans la baie et depuis la digue, nous apercevons surtout des plongeons et des guillemots à miroirs.
Nous dînons dans un pub du bourg : nous sommes seuls dans une salle avec les gens du film, les habitués étant dans la salle d'à-côté...
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